Archives mensuelles : mars 2012

L’économie, star de la présidentielle – Compte rendu

Les Entretiens de l’information et l’Institut pour le développement de l’information économique et sociale (www.idies.org) ont organisé conjointement, le 14 mars dernier, une journée d’échanges et de réflexion intitulée «l’économie, star de la présidentielle», dont l’objectif était d’interroger la place prise par l’économie dans la campagne, mais aussi et surtout d’analyser comment les médias se sont saisis de cet objet.

Une première table-ronde était consacrée à «la hiérarchie et le traitement de l’information économique dans l’actualité politique». Animée par l’auteur de ces lignes,  elle a réuni des responsables de rédaction de l’audiovisuel – Cyril Auffret (TF1) et Philippe Chaffanjon (France Info) -,  de la presse quotidienne régionale – Alain Peudenier (Ouest France) et Francis Laffon (L’Alsace) – et de nouveaux médias – Isabelle Germain (LesNouvellesNews) et Pascal Riché (Rue89).

Il en est ressorti que ni les grilles et chemins de fer, ni l’organisation des rédactions n’ont été modifiées pour prendre en compte l’importance des sujets économiques dans cette campagne.  Plus généralement, l’économie semble demeurer encore un sujet à part pour une partie de ces responsables de rédaction.  Et quand on affirme lui donner une grande importance, c’est souvent en la cantonnant en partie dans des approches «services» (rubriques placements, finance personnelle) ou «entreprises». En revanche, elle n’est pas toujours perçue comme relevant du débat politique.

Exiger des journalistes économiques qu’ils aient reçu une formation spécifique n’apparait pas non plus comme une nécessité pour une partie des participants.  Au contraire,  un journaliste non spécialisé apparait comme la garantie d’une certaine «fraîcheur» dans l’approche des sujets, gage d’un traitement accessible au lecteur ou au téléspectateur. L’idée qu’un journaliste non spécialisé risque de se faire manipuler par ses interlocuteurs et pourrait en conséquence répéter sans grande capacité critique les messages des décideurs et autres experts ne semble pas une préoccupation majeure.  On compte sur les rédactions en chef pour éviter ce type d’écueil.  En fait, le journalisme apparait d’abord comme une technique, et les discussions au sein des services semblent porter plus sur la mise en scène des sujets, les modes de traitement, que sur les angles ou sur le fond.  En pratique, la dimension souvent technique voire rébarbative de l’économie,  conduit les rédactions en chef à chercher des modes de traitement qui puissent retenir l’attention des téléspectateurs, auditeurs ou lecteurs.  D’une manière générale, on privilégiera plutôt les sujets qui peuvent être incarnés dans des aventures personnelles, du reportage de terrain racontant une histoire : une entreprise en difficultés ou une success story, la vie d’un ménage aux fins de mois difficile au, au contraire, la vie des exilés fiscaux à Bruxelles ou Genève… Le souci est d’éviter le discours rébarbatif de l’expert qui parle des causes du chômage devant l’image d’une agence de Pôle Emploi ! Certains participants ont exprimé de la même façon une certaine méfiance à l’égard des statistiques,  préférant les histoires à dimension humaine. Pour autant, certains responsables de rédaction, et notamment Cyril Auffret, de TF1, estime qu’on peut concevoir de nouvelles manières d’aborder les thèmes les plus abstraits, en faisant preuve de pédagogie, et notamment en mobilisant des graphiques animés.  Notons enfin que les sujets économiques ont souvent occupé une large place dans les rubriques spécifiques mises en œuvre à l’occasion de la présidentielle. Ainsi, les pages «grands débats» introduites par des quotidiens comme Ouest-France ont traité de nombreuses thématiques économiques (inégalités, fonctionnement de Pôle emploi, fiscalité…). Parallèlement, des enquêtes de terrain sur des questions économiques et sociales au cœur du débat sont venues éclairer les lecteurs (ex : la face cachée du modèle allemand, la Grèce dans la crise, etc.)

La deuxième table-ronde traitait du «choc des domaines et des compétences». Animée par Loïc Hervouet, ancien directeur de l’ESJ, elle réunissait des journalistes de différentes spécialités et provenant, là encore, de différents médias : Odile Benyahia-Kouder,  grand reporter au Nouvel Observateur, Nicolas Cori, responsable du service investigation à Libération, Bruno Francesci, chef du service informations sociales de l’AFP, Sandra Moatti, rédactrice en chef adjointe d’Alternatives Economiques, Philippe Lefébure, chef du service économique de France Inter et Hélène Salvi, journaliste à Médiapart.

Si l’économie a parfois gagné ses lettres de noblesse dans l’actualité politique notamment depuis la crise, le constat dominant, s’agissant  de la division du travail au sein des rédactions, demeure que «la politique» au sens strict, demeure l’apanage des services du même nom, des services qui continuent de dominer les rédactions.  Ainsi, les interviews des responsables politiques seront quasiment toujours réalisés uniquement par des journalistes issus du service politique, bien qu’ils maîtrisent souvent mal les questions économiques et sociales. Privilégiant une approche tactique des questions politiques, ils ne contestent guère, sur le fond, les propositions des responsables politiques en matière économique et sociale et les considèrent surtout comme un élément de leurs stratégies d’affirmation et de différenciation face à leurs adversaires.  Ce qui ne les empêche pas, quand un sujet économique devient un enjeu politique, de chercher à s’en saisir ! Les raisons qui font qu’au final, ce soit les membres d’un service plutôt qu’un autre qui traitent un sujet peuvent cependant se faire de manière assez informelle. Ainsi, à l’AFP, la place est souvent au premier arrivé qu’il relève du service social, économique ou politique et certaines dépêches sont écrites à quatre mains.  A Libération, autre exemple, la hiérarchie se révèle dans la division du travail qui s’établit dans le traitement d’un sujet monté dans les pages évènement: le papier d’analyse reviendra le plus souvent à un journaliste du service politique tandis qu’il reviendra au service économique de faire l’entrée secondaire, plus technique.

Enfin, les services économiques rassemblent un nombre souvent très réduit de journalistes. Dans certains titres de la presse quotidienne régionale, on ne compte aucun journaliste économique. Mais même des médias d’information nationale comme France Inter ne comptent que quatre journalistes dans le service économique, alors que la rédaction d’un mensuel comme Alternatives Economiques mobilise une douzaine de rédacteurs spécialisés !  Cela limite la capacité d’investigation, rend plus dépendant de l’information transmise par les agences et conduit à recourir à des ressources externes (experts, chroniqueurs provenant d’autres médias).

La dernière table-ronde intitulée «De quelle économie parle-t-on ?», animée par Jérôme Bouvier, médiateur de Radio-France, réunissait des personnalités d’organisations de la «société civile», dont on attendait qu’elles jugent le travail des médias en matière économique.  Sont ainsi intervenus Ahmed El Khadiri, d’Animafac, structure qui regroupe de multiples associations étudiantes, Nicole Maestracci, la présidente de la FNARS, Emmanuel Mermet, responsable économique à la CFDT, et Eric Favey, de la Ligue de l’enseignement.

Il en est ressorti, confirmant l’hypothèse formulée au départ, que le poids des thématiques macro-économiques dans la campagne présidentielle avait pour effet de faire passer pour partie à la trappe des questions économiques et sociales tout aussi essentielles, qu’il s’agisse d’enjeux liés à l’éducation, à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion, etc.  Plus au fond, c’est le travail des médias qui s’est trouvé contesté. D’une part le fait  qu’on ne peut les intéresser à un sujet que pour autant qu’il y a quelque chose qui fait «évènement», ce qui incite à faire des manifestations qualifiées à raison de «médiatiques», qui permettront de faire un sujet, mais au détriment bien souvent du fond des dossiers.  D’autre part, la faible compétence, ou l’insuffisant travail des journalistes est incriminé, (avec l’excuse des moyens souvent insuffisants des rédactions).  Ainsi, quand un ministre dénonce l’assistanat, cancer de la société – en l’occurrence, Laurent Wauquiez -, nul ne songe à lui opposer le fait que les deux tiers des personnes susceptibles de bénéficier du RSA activité n’y ont pas recours, nul ne songe non plus à lui demander combien de titulaires du RSA socle, soi-disant enfermés dans l’assistanat au point qu’il faudrait leur imposer sept heures d’activité par semaine, se sont vu proposer deux offres d’emploi convenables par Pôle Emploi et les ont refusées !

De même, si le souci d’incarner systématiquement les sujets économiques et sociaux peut avoir un caractère pédagogique et provoquer une réaction d’empathie du téléspectateur, auditeur ou lecteur, elle tend aussi à prendre la forme d’histoire personnelle, relevant d’une sorte de fatalité et appelant une réponse d’ordre caritatif. Les facteurs généraux expliquant les situations personnelles disparaissent derrière le story telling. Le travail des médias dans le domaine économique et social peut dans le même mouvement proposer une approche assez catastrophiste des sujets sociaux, de la situation des personnes, sans nuances, puis donner la parole à un journaliste expert, qui devant son graphique, va tenir un discours d’autorité objectivant les contraintes et présentant les mécanismes économiques comme relevant d’une sorte de physique sociale à laquelle on ne peut échapper.

On terminera par une note optimiste, en observant, avec Eric Favey, que la hausse du niveau culturel conduit à élever le niveau d’exigence des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs, et leur apporte les moyens d’une meilleure compréhension des sujets. Souhaitons que le travail des médias soit à la hauteur !

Philippe Frémeaux

Délégué général de l’Idies